Raconte moi l'Indépendance : Naitre dans le Dahomey français

Le Palais des Gouverneurs, Porto Novo, avant 1960


Marie-Louise Detchenou
«J’étais Française à l’école, et Dahoméenne à la maison* ; parce qu’à l’école, on nous faisait chanter le Général De Gaulle, Pétain. C’étaient les grands hommes de France. C’était le drapeau français qui était hissé. On se sentait, malgré la peau, un peu Français. Mais à la maison, nous étions replongés dans nos mœurs traditionnelles, si bien qu’on ne se faisait guère de soucis d’être Français ou Dahoméens.»

*Avant l’Indépendance de 1960, de nombreux Dahoméens, fiers de leur pays, ont la nationalité dahoméenne.
Albert Tévoédjrè
«Le livre d’Aimé Césaire «Discours sur le colonialisme», qui est un livre fondateur, un livre culturel, nous a permis de prendre conscience qu’il y avait vraiment un problème de la colonisation, tête de pont d’une pensée, d’une action, d’asservissement.
À partir du «Discours sur le colonialisme», moi-même j’ai changé. J’ai été un ardent défenseur de l’idée d’Indépendance, de l’idée du divorce avec un système où, comme le dit Kwame Nkrumah : «Un peuple qui n’est pas gouverné par ses fils est informe et absurde.».»

TIRÉ DE AIMÉ CÉSAIRE, «DISCOURS SUR LE COLONIALISME»
Paris : Éditions Présence Africaine, 1955, pp.10-11 
En 1950 Aimé Césaire fait paraître un essai-pamphlet intitulé :
«Discours sur le colonialisme» dans lequel il fait le procès des crimes du colonialisme occidental. Le livre est publié en 1955 par la maison d’édition Présence Africaine qui le réédite à plusieurs reprises. 
«… J’admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même s’étiole ; que l’échange est ici oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie. Mais alors, je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? […] Je réponds non.
Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.»

Jean Pliya
«Il a fallu que j’aille à l’école pour me rendre compte de ce que c’est qu’un pays colonisé.
Le drapeau qu’on hissait le matin avant qu’on aille en classe était le drapeau français. Lorsque nous faisions des marches dans la rue, on ne chantait pas «Enfants du Dahomey debout !», mais on chantait «Allons enfants de la patrie !»

Alors, si vous me demandez quelle était ma patrie, je ne pensais pas que c’était le Dahomey, puisqu’on me disait que c’était la France. Et même quand on nous enseignait l’histoire on nous disait : «Nos ancêtres les Gaulois» !
Donc, dans l’imaginaire de l’enfant, on sème ces idées-là. Et l’Indépendance quand elle va arriver, pour moi, c’est un bouleversement complet. Et l’enfant que j’étais à l’école, les chansons, la langue que je parlais, me montraient que ce n’était pas dahoméen et qu’il y avait un autre pays qui s’était superposé à ma patrie. Je ne concevais pas encore le Dahomey comme une patrie.»

Émile Derlin Zinsou
«À l’époque, la colonisation était un fait qui nous paraissait normal. Et c’est plus tard qu’on a découvert qu’on n’était pas tout à fait les mêmes que les autres. C’est plus tard. Et pendant longtemps, ça a été une espèce de revendication non pas d’Indépendance, mais d’égalité. Pendant longtemps, on n’a pas parlé d’Indépendance, moi compris. Nous avons parlé d’égalité. Mon père et les siens, ceux de sa génération ; qui se battaient, qui étaient des hommes politiques entre guillemets, se battaient pour l’égalité des droits et des devoirs. Nous sommes Français. Il y a deux catégories de Français : ceux de France qui ont des droits et lorsqu’ils sont ici, ils ont des droits ; et nous, les Français d’Afrique de seconde zone qui n’avons que des devoirs. Donc toute la revendication consistait à obtenir les mêmes droits, puisqu’on avait les mêmes devoirs. C’est après, au fond, bien que l’Indépendance soit quelque chose de naturel, que la guerre contre toutes les guerres nous a amenés à rentrer dans la conception de la revendication de l’Indépendance en politique.»

TIRÉ DE LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR, «LE FRANÇAIS, LANGUE VIVANTE»
in Esprit, novembre 1962
Léopold Sédar Senghor crée avec Aimé Césaire en 1930, le mouvement culturel et politique de la Négritude. 
En 1960, 30 ans plus tard, il est l’un des pères de la francophonie : 
«…nous, écrivains noirs, nous sentons, pour le moins, aussi libres à l’intérieur du français que de nos langues maternelles. Plus libres, en vérité, puisque la liberté se mesure à la puissance de l’outil : à la force de création. 
Il n’est pas question de renier les langues africaines. Pendant des siècles, peut-être des millénaires, elles seront encore parlées, exprimant les immensités abyssales de la Négritude. Nous continuerons d’y prêcher les images-archétypes : les poissons des grandes profondeurs. Il est question d’exprimer notre authenticité de métis culturels, d’hommes du XXe siècle. Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit la civilisation de l’universel, il est, d’un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du régime colonial. De cet outil qu’est la langue française. La francophonie, c’est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des «énergies dormantes» de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire.
«La France, me disait un délégué du FLN, c’est vous, c’est moi : c’est la culture française.» Renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l’Arabisme, c’est aussi vous, Français de l’hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, soleil qui brille hors de l’hexagone.»
Gratien Pognon
«Je me sentais terriblement Dahoméen mais en même temps je reconnaissais beaucoup de mérite à la colonisation française. Et je lui reconnais ce mérite-là, j’en citerai au moins un qui n’est pas négligeable, c’est de nous avoir donné à travers cette belle langue, la langue française, une langue d’union non seulement dans le Dahomey tel qu’il est tracé de façon artificielle à Berlin, mais avec une bonne partie de l’Afrique. Derrière chaque langue il y a une culture, donc beaucoup d’entre nous ont été terriblement imprégnés, par la culture française, son humanisme. Je pense que tout cela a fait un métissage avec nos traditions et nous étions tous partisans de ce métissage. Voilà comment moi j’ai vécu la colonisation.»


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