Un règne de femme dans l’ancien royaume d’Abomey

La noblesse obligeait nos rois à pratiquer la polygamie. Ils reconnaissaient néanmoins une femme comme leur épouse légitime celle ci ne doit pas être originaire d’Abomey. Son mariage entraine de grandes cérémonies et le roi paie une forte dot. Cette épouse a la préséance sur toutes les autres. À la cérémonie officielle, sa place est à la droite du Roi. Et c’est forcement l’un de ses fils ainé qui accède au trône. C’est le roi Houégbadja qui introduisit cette coutume dans sa dynastie. De telles femmes sont surnommées Na-Yé.

La reine épouse du Roi Houegbadja s’appelait Na-Yé Adonon. Elle eut trois enfants parvenus à l’âge adulte : Akaba, Tassin-Hangbé et Agadja qui, tours trois, régnèrent à tour de rôle, et dans l’ordre adopté pour l’inscription de leur nom.

L’on sait qu’Akaba fut le successeur immédiat de son père et que c’est lui qui vengea l’affront fait naguère par le roi Nago de Ouémè -Yoko en voulant faire noyer Houégbadja et son fils, enfermés dans une nasse au milieu du fleuve Ouémé. Mais il ne régna que vingt-huit ans. A sa mort, son héritier présomptif, le prince Agbo-Sassa était encore mineur. Tout absorbé par les expéditions guerrières, Akaba n’eut pas le temps d’initier son fils aux forces occultes qui sauvegarderaient la vie de nos rois. Craignant donc de mourir précocement, Agbo-Sassa renonça à succéder son père. Sa tante, Tassin-Hangbé, princesse jouissant d’une grande popularité dans tout le pays, fut chargée par le grand féticheur d’Agassou d’assurer la régence. La présence d’Agbo-Sassa à Abomey pouvant porter ombrage à la régente, les conseils des anciens lui suggéra d’aller, en attendant sa majorité, s’installer à Mahi-Klouékanmey, entendons Houndjroto rendu justement célèbre par l’auteur de Doguicimi ; lequel était situé à l’emplacement actuel de Glazoué.

Mais si l’on pardonnait aux princesses d’abomey d’être de mœurs légères, il ne seyait pourtant à Tassin-Hangbé, revêtue de cette éminente autorité, de pratiquer la débauche. Ainsi, lorsque nonobstant les interdits et la coutume de la bienséance, la régente se livra à de véritables bacchanales, tout le peuple s’indigna et exclama son remplacement. Une lutte sourde s’engagea entre ses partisans et les défenseurs des mœurs royales. Pour l’obliger à abdiquer, quelques fanatiques s’introduisirent par surprise et pendant la nuit dans la demeure de son unique fils. Ils purent l’assassiner avant que les gardes attachés à sa maison s’éveillassent. A cette nouvelle, la reine Tassin-Hangbé dissimula sa peine jusqu’à la réunion des conseils du Trône en séance publique. Pompeusement parée et majestueusement installée sur le trône sacré d’Abomey, entourée de tous les ministres et de tous les dignitaires du royaumes, les tam-tams parleurs célébraient son stoïcisme au milieu d’une cour recueillie. Tout à coup, sa Majesté descendit du trône comme pour ordonner une cérémonie ou imiter un ordre dont l’importance impliquait ce cérémonial. Une de ses confidentes s’agenouilla prestement à ses pieds et lui présenta un précieux vase doré contenant de l’eau. Alors il se passa quelque chose d’inouï. Sans pudeur et devant tout le royaume, la reine Hangbé procéda à sa toilette intime en maudissant indistinctement princes, nobles, artisans et serfs du royaume. Elle prédit un grand malheur pour tout le pays. Les astrologues et les exégètes du culte ancien disent que ce malheur annoncé était la conquête de Dahomey par les peuples de race blanche.

Ce fut le dernier acte de cette régence qui avait commencé trois mois auparavant sous les auspices les plus favorables. Sans se faire prier, Tassin-Hangbé prononça à la fin de ce scandale public la sentence de son abdication.

Agbo-Sassa étant toujours mineur, ce fut Agadja qui recueillit la succession de sa sœur aînée.

Pour s’illustrer, il entreprit sans plus tarder la conquête du royaume de Savi. Il se servit de sa fille Na-Guézé hâtivement mariée à Houffon pour favoriser le succès de ces armes, contre un ennemi puissant, puisque, alimenté en armes et en munitions par toutes les nations d’Europe dont les ressortissants tenaient des comptoirs à Ouidah.

Enivré par la gloire de ses exploits guerriers, il voulut se faire titulariser à la tête du royaume d’Abomey ; aussi, lorsque devenu majeur Agbo-Sassa se présenta à la cour accompagné de ses ami d’Abomey et de ses oncles maternels venu de Houndjroto pour réclamer son droit de succession, Agadja lui fit présenter simultanément deux bols de bouillie de maïs. Le prince goûta tour à tour au contenu des deux calebasses. Il but à longs traits la bouillie accommodée au miel tandis qu’il dédaigna et fit servir à son escorte celui qui ne l’était pas. Quand il eut fini, Agadja lui offrit une bague. Tout le peuple assemblé croyait qu’il s’agissait d’un symbole d’affectueuse passation de service. Mais dès qu’il eut passé l’anneau à son doigt, son oncle lui lança tout haut : ‹‹Eh bien ! Les délices sont comparables à la bouillie sucrée ; quand on y goûte on ne peut plus se décider à y renoncer. Patiente donc, mon cher neveu, je me ferai sacrer sans délai et te ferai construire une demeure à quelques lieues d’ici. Tu auras tous les honneurs de princes héritiers si de bon cœur tu abandonnes tes prétentions de régner de mon vivant.››

Au cours des cérémonies du sacre qu’il fit commencer aussitôt, Agadja signifia à son héros que pendant les trois cérémonies qu’il est tenu journellement de faire autour du palais, la louange par laquelle il saluera ce nouveau règne sera : ‹‹gna ma johoho non yi agadanou dossou-Dossou na na pon non hon me bo no yi-mènou›› ce qui signifie littéralement : ‹‹ un homme qui n’est pas né après les jumeaux s’arrange plus tard pour se faire passer pour un puîné de jumeaux" . C’est en disant à quelqu’un montre-moi ce que tu as dans la main qu’il réussit en frappant son interlocuteur à s’approprier ce qui n’est pas à lui. L’idée qu’il exprime ainsi est la suivante : sans être prédestiné par le rang de ma naissance à monter sur le trône d’Abomey, j’ai réussi à m’accaparer du pouvoir en trompant mon neveu.

Par Anatole COISSY

Cet article est issu de :
ETUDES DAHOMÉENNES
1949
GOUVERNEMENT DU DAHOMEY
CENTRE IFAN
REVUE PUBLIEE
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