Correspondances de Béhanzin à Victor Ballot, 29 mars et 19 avril 1892


Béhanzin à Ballot
Dahomey, le 29 mars 1892

A Monsieur Ballot, Gouverneur de Porto-Novo,

Je vous adresse ces deux lignes pour savoir des nouvelles de votre santé et en même temps vous dire que je suis bien étonné du récade que Bernardin a apporté au cabécère Zohoncon pour m’être communiqué au sujet des six villages que j’ai détruits il y a trois ou quatre jours.

Je vous garantis que vous vous êtes bien trompé. Est-ce que j’ai été quelques fois en France faire la guerre contre vous ? Moi, je reste dans mon pays, et toutes les fois qu’une nation africaine me fait mal, je suis bien en droit de la punir. Cela ne vous regarde pas du tout. Vous avez eu bien tort de m’envoyer ce récade, c’est une moquerie ; mais je ne veux pas qu’on se moque de moi, je vous répète que cela ne me fait pas plaisir du tout. Le récade que vous m’avez envoyé est une plaisanterie et je la trouve extraordinaire. Je vous défends encore et ne veux pas avoir de ces histoires.

Si vous n’êtes pas content de ce que je vous dis, vous n’avez qu’à faire tout ce que vous voudrez, quant à moi, je suis prêt. Vous pouvez venir avec vos troupes ou bien descendre à terre pour me faire une guerre acharnée.

Rien d’autre.
Agréez, monsieur le Gouverneur, mes salutations sincères.

BÉHANZIN
Roi de Dahomey


Béhanzin à Ballot

Dahomey, le 19 avril 1892


Je viens d’être informé que le Gouvernement français a déclaré la guerre au Dahomey et que la chose a été décidée par la chambre de France.

Je vous préviens que vous pouvez commencer sur tous les points que vous voulez et que moi-même je ferai de même. Mais je vous avise que si un des mes villages est touché par le feu de vos canons, tel que Kotonou, Godomey, Abomey-Calavi, Avrékété, Whydah et Agony, je marcherai directement pour briser Porto-Novo et tous les villages appartenant au Roi de Porto-Novo.

Pour ce qui s’est passé dans la rivière de Ouémé, c’est vous qui êtes en cause, car lorsque les Dahoméens sont en campagne, il ne faut que personne ne puisse les voir ou les déranger. Si vous n’étiez pas venu me faire la guerre sur le chemin d’Atchoupa, je ne vous aurais rien fait le premier. Lorsqu’un étranger vient chez moi il faut m’en aviser et comme vous êtes venus chez moi avec un vapeur, mes troupes ont cru que vous veniez leur faire encore la guerre. C’est pour cela qu’elles ont commencé à tirer des coups de fusil sur le vapeur.

Au sujet de la rivière de Ouémé, je vous ai dit plusieurs fois et prévenu par lettres qu’il ne faut pas y aller parce que j’avais toujours des troupes de ce côté et c’est par là que les Dahoméens passent pour aller combattre leurs ennemis. Je vous ai dit plusieurs fois que ce euve m’appartient et non à Porto-Novo ni à personne autre que moi.

Maintenant, je viens vous dire, si vous restez tranquilles, moi aussi je resterai tranquille et nous resterons en paix. Si par exemple vous faites quelque chose, je ruinerai tout en général et le commerce aussi et je ferai commerce avec d’autres nations.

La première fois je ne savais pas faire la guerre, mais maintenant je sais. Si vous commencez la guerre, j’ai des troupes prêtes pour cela. J’ai tant d’hommes qu’on dirait des Vers qui sortent des trous. Je suis le Roi des Noirs et les Blancs n’ont rien à voir à ce que je fais.

Les villages dont vous me parlez sont bien à moi, ils m’appartiennent et voulaient être indépendants, alors j’ai envoyé les détruire et vous venez toujours vous plaindre.

Je désire savoir combien de villages français indépendants ont été brisés par moi, Roi de Dahomey. Veuillez rester tranquille, faire votre commerce à Porto-Novo, comme cela nous resterons toujours en paix comme auparavant. Si vous voulez la guerre, je suis prêt. Je ne la nirai pas quand même cela durerait cent ans et me tuerait 20.000 hommes.

Personne ne saura jamais rien de tout ce que je viens de vous écrire. J’attends votre réponse, mais si la France veut me faire la guerre, je ne veux pas que vous m’avertissiez, car je suis toujours prêt sur tous les points.

Je suis informé de tout, je connais le nombre de millions que la France veut dépenser pour recommencer la guerre. Je suis très bien informé. J’ai reçu la lettre que vous m’avez envoyée par Zonahocon de Cotonou à Whydah, ainsi que celle vous vous aviez confiée au chef du Dékanmè. Je les ai reçues toutes les deux et j’ai pris bonne note.

BÉHANZIN


 

Commentaire du Professeur Djivo 

Le Roi Gbèhanzin avait un service d’information, d’espionnage, de communication très développé qui lui permettait d’être au courant à tout moment de toutes les affaires de son Etat et de sa nation. Le père Planque a écrit à ce propos, le 2 Avril 1889, que le Danhomè avait le service d’espionnage le plus développé qu’il ait jamais connu, et que les autres nations ne perdraient rien à apprendre son système.

Le Roi est donc informé de tout ce que le gouvernement français prépare contre son pays.
Dans ces deux lettres, le ton a changé, parce qu’il sait que sur décision de « la chambre de France », le gouvernement a déclaré la guerre au Danhomè. Aussi, son Roi doit-il défendre ses intérêts, ses terres partout, même au Nord de Porto-Novo, que les Français par leur « protectorat », veulent protéger. Cela est une grave violation. Il est prêt pour la guerre et il n’a peur de rien.

Les problèmes du différend entre les deux pays sont clairement posés depuis 1890 à Cotonou et à Porto-Novo. Ces deux lettres du Roi à Victor Ballot sont certainement les messages les plus forts jamais envoyés aux Français. Ils traduisent sa fermeté et sa détermination à les affronter. Même s’ils lui font une « guerre acharnée », il a l’effectif des hommes et des femmes nécessaires pour les affronter.

Cet article est issu du Cahier de la Fondation : 


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