Béhanzin, Roi du Dahomey - Le Petit Journal 23 avril 1892




Publiant le portrait du roi Béhanzin, dont on s’occupe tant aujourd’hui, nous avons cru ne pouvoir mieux faire que de demander sur lui quelques détails à M. Jean Bayol, ancien lieutenant-gouverneur du Sénégal et dépendances, qui nous a fourni les très intéressantes notes que voici.

BL. T.


Béhanzin
ROI DU DAHOMEY

Le roi du Dahomey, dont toute la France s’occupe à l’heure actuelle, s’appelle de son vrai nom Kondo-dô. Il est âgé de quarante-huit ans, c’est- à –dire dans la force de l’âge.

Très intelligent, dissimulé, passant du sourire à la plus violente colère et se calmant avec la même facilité, il aurait fait un diplomate de premier ordre dans notre vieille Europe qu’il considère, d’après les récits de ses courtisans, comme une contrée commerçante avant tout, et dont les habitants ne sauraient résister à ses soldats si l’on pouvait marcher toujours sur la terre ferme pour les y conduire...

Il est de taille moyenne, assez gros, le visage large comme les Mandingues du Soudan.

Les cheveux ras et crespelés, poivre et sel ; la barbe rare au menton. La peau café au lait.

Les lèvres peu épatées. Les extrémités fines.

La démarche serait gracieuse, sans un balancement involontaire qui doit tenir à son goût pour la danse.

Les yeux très doux sont charmants au repos, mais deviennent féroces quand il parle de la France, qui lui a fait, dit-il, en 1875, un affront qu’il ne peut oublier.

Un officier de marine, M. Cantaloub, commandant l’aviso le Talisman, mouillé devant Whydah, tira, à cette époque, sur des Dahoméens qui pillaient des épaves, venues à la côte, d’un navire incendié sur rade.

Jamais le Dahomey n’a pardonné à la France ce malheureux coup de canon qui ne fit du mal qu’à notre influence politique dans ces parages.

Le prince Kon-dô, fils d’une humble femme d’Abomey-Kalavy, sur le lac Denham, est devenu roi le 6 janvier 1890.Il a succédé à son père Da-Da Gelè-lè Kini-Kini, mort le 30 décembre 1889, après quarante ans de règne. Il était le petit-fils du fameux Guéso-Apodgi, sous la royauté duquel, en 1841, les Français commencèrent le commerce de l’huile de palme, qui remplaça en partie la traite des esclaves que l’on faisait auparavant.

Son père s’appelant Kini-kini (le lion des lions), le prince Kon-dô en montant sur le trône a pris les noms suivants : Bedazin (et non Behanzin), Boaijéré Honu Bowelé, ce qui signifie : « Le germe de tout, manifestation de la terre, Roi des Requins. »

Il est d’usage, dans les familles dahoméennes, d’ajouter à son nom celui de l’animal auquel on prétend ressembler.

Le roi Bedazin a pris le nom de roi Requin, parce que les requins sont très nombreux devant la plage de Kotonou. Ils pullulent au milieu des brisants qui rendent le débarquement périlleux. Un homme tombé à la mer est un homme, en général, perdu. Le requin le saisit et le dévore.

Le roi Bedazin et son père estimaient, pendant mon séjour à Abomey, qu’ils feraient à bref délai la guerre avec les Français, pour lesquels les Requins de Kotonou sont les sentinelles avancées de son royaume. Le nouveau roi a pris le titre de Requin pour bien indiquer à la France qu’il entendait montrer à notre égard une férocité implacable, et nous venons de voir, ces jours-ci, qu’il a tenu parole.

Il est en général vêtu d’un pagne à rayures, large pièce de cotonnade fabriquée dans le pays. Le buste découvert, la tête coiffée d’un chapeau de feutre gris à larges bords, le cou entouré d’une chaînette en or à laquelle pend une croix de première communiante et que lui donna un digne prêtre portugais appelé Pedro Paulo Barboza Netto, curé de Whydah.

Il porte en outre un collier de verroteries (perles très fines en verre) qui est l’insigne du commandement, avec la hachette recourbée, sur la lame de laquelle sont gravés les symboles fétiches.

Le roi Behanzin n’est jamais venu en Europe et n’a pas fait ses études au lycée de Marseille comme on l’a prétendu à tort. Il ne parle aucune langue européenne. Il baragouine quelques mots de portugais.

Le noir appelé Badou, placé jadis au lycée de Marseille par MM. Regis aîné, et que l’on a pris pour le fils du roi du Dahomey, est à l’heure actuelle un honorable négociant de Porto-Novo dévoué à la cause française. C’est un homme doux et paisible, qui n’a rien de commun avec le vaniteux roi Requin du Dahomey qui, malgré la férocité dont il se vante, se laisse mener par le bout du nez par ses femmes d’abord, ensuite par deux nègres très fourbes, dont l’un , appelé Acodé, était le domestique d’un Allemand, et l’autre, appelé Hendry Doscioro Kagadou, a été domestique d’un vieux mulâtre anglais, pasteur protestant wesleyen, qui lui a appris à exécrer la France.

Notre pays viendra facilement à bout, quand il le voudra, de ce requin, dont l’armée mal organisée ne saurait résister à un effort sérieux des petits soldats français.



Jean BAYOL.

Cet article est issu de :
Le Petit Journal
Le Supplément illustré 
Troisième Année 
 SAMEDI 23 AVRIL 1892 
 Numéro74 (page135)

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